PARIS (MPE-Média) – Entendu par la commission des affaires économiques du Sénat ce 18 mai, le PDG de Total Patrick Pouyanné a notamment déclaré qu’une interdiction d’importer du gaz de roche en France irait contre la compétitivité de l’industrie après avoir dressé un tableau complet de la scène énergétique mondiale. Extraits.

Introduit par Jean-Claude Lenoir, Président de la commission des affaires économiques du Sénat, le PDG de Total Patrick Pouyanné était questionné par les sénateurs sur les stratégies du groupe pétrolier et énergéticien français tant du côté du pétrole, du gaz que des énergies dites nouvelles ou renouvelables comme l’éolien et le solaire et à propos de la taxe carbone.

Dans son propos liminaire, le PDG de Total a fait œuvre de pédagogie, illustrant son propos avec aisance tout en résumant l’histoire récente des progrès de l’industrie pétrolière et gazière : « On a déjà fracturé plus d’un million de puits – de gaz non conventionnel NDLR - dans le monde », explique aux sénateurs M. Pouyanné en resituant la montée en puissance du gaz de schiste américain dans son contexte de hausse des prix puis d’effondrement « violent » des prix du baril de pétrole.

« Les experts se trompent beaucoup, il faut être humble dans ces métiers-là », souligne le PDG de Total en parlant de la forte progression de la demande pétrolière en 2015, principalement aux Etats-Unis, en Europe mais aussi en Inde, expliquant que ses experts anticipent une légère reprise du prix en 2016.

 Le prix du pétrole ne sera jamais stable

Patrick Pouyanné déclare que le prix du pétrole ne sera jamais stable et qu’on ne peut pas arrêter d’investir pour autant : « au rythme où on va, il y aura un manque d’offre dans les années 19-20 », note-t-il, estimant ce déficit à près de 20 millions de barils/jour à terme et 5 millions de barils/jour à plus court terme. D’où la nécessité d’une grande discipline sur le plan des dépenses lorsqu’on perd de la marge, même si « le groupe résiste bien grâce à son modèle intégré ».

« Ce qui fait vivre une entreprise c’est le cash-flow », a rappelé le PDG de Total parlant de « bilan sain » qui permet de réfléchir au moyen et long terme, à vingt ans, « durant lesquels la population mondiale va croître de 7 à 9 milliards, le premier défi, le deuxième défi étant le réchauffement climatique (…) le troisième défi étant nos clients et leur évolution assez forte en période d’ubérisation ».

Patrick Pouyanné estime qu’il y a « un gigantesque effort d’efficacité énergétique à faire durant ces vingt années au niveau mondial, effort appelé à évoluer », appuyant son propos sur les déclarations récentes de l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Et soulignant que l’Europe à elle seule ne règlera pas la question du réchauffement climatique, confrontée à la Chine, l’Inde et les Etats-Unis qui sont les premiers consommateurs de charbon au monde.

 Total n'ira pas dans le nucléaire

« Total n’ira pas dans le nucléaire », a précisé le PDG de Total avant de parler du gaz, qui n’était pas recherché au départ, plutôt évité : « pour l’instant Total s’intéresse aux gros clients, l’Allemagne, le Royaume-Uni, les Pays-Bas (…) mais nous n’iront pas le chercher en Arctique. Quand on parle gaz on pense électricité, gaz pour produire de l’électricité ».

Total ne cherchera pas à concurrencer Engie ou EDF, mais veut développer le stockage de l’énergie en achetant SAFT, avec l’idée comme pour Sunpower dans le solaire, de devenir un vrai acteur industriel, précise M. Pouyanné, qui pense qu’on est encore loin d’avoir réglé le problème du stockage de l’énergie, parlant d’accompagner les biocarburants, les renouvelables, dans un mouvement continu d’innovation et d’investissement.

Le groupe compte 30 000 salariés en France, seul major français, le seul major à n’avoir pas de ressource domestique pétrolière. Total a payé 200 millions d’euros d’impôts en France cette année et a des raffineries et des centres de recherche en France et en Belgique : « un siège, c’est fondamental, c’est une question de culture », explique aux sénateurs le PDG de Total qui ajoute que son groupe gère 3 500 stations d’essence en France. Total va accompagner les communes pour garder des stations à proximité de tous les habitants, ajoute M. Pouyanné.

 

Les questions des sénateurs 

La première question d’un sénateur était surprenante : « combien gagnez-vous ? »

« Je gagne un peu moins que Monsieur Tavarès », s’est amusé le PDG de Total qui précise : « si je trouve que c’est trop il faut que je le refuse. Par rapport à mes collègues anglo-saxons, je doit avoir le 20e salaire ».

Questionné par Ladislas Poniatowski et une sénatrice sur les gaz de schiste, qui s’est dit très surpris par l’interdiction voulue par Mme Royal d’importer du gaz de schiste, M. Pouyanné s’est dit sceptique car « les molécules n’ont pas de couleur, pas d’odeur, c’est un marché mondial, comment on fait pour empêcher le gaz de circuler ».

M. Pouyanné a aussi répondu que Total « ne sait pas s’il y a du gaz de schiste en France », que c’est « compliqué de mettre de la raison dans ce sujet-là », que le groupe produit du gaz de schiste en Argentine mais qu’il ne souhaite pas mettre de l’argent pour explorer en France où le gouvernement ne le souhaite pas, même s’il est prêt à forer comme en Pologne « pour savoir s’il y en a ou non et si c’est rentable de le faire ».

M. Pouyanné est prêt à investir dans le cadre de projets éventuels « si on arrive à pacifier le débat, mais il faut qu’il y ait un consensus ». Et ajoute que le permis de Montélimar dure cinq ans, « soit un peu plus que le gouvernement ».

 Le vrai sujet pour le patron de Total

Le PDG de Total pense que le vrai sujet est celui de l’occupation de l’espace, celui de savoir si l’on veut ou non utiliser de l’espace pour exploiter les gaz non conventionnels.

Questionné par Roland Courteau sur l’impact de la baisse des prix du pétrole sur le développement des biocarburants, le PDG de Total a répondu que « c’est un sujet important, Total distribue des biocarburants, mais à prix du pétrole bas ce n’est pas terrible même si à première vue c’est plutôt une bonne chose pour le climat (…) Le groupe investit à Dunkerque dans le projet Beauty Fuel, et dans le projet Futuroil (…) le vrai débat sur les biocarburants de 3e ou 5e étant de savoir comment collecter les matières de base ».

Questionné par Elisabeth Lamure, vice-présidente de la commission des affaires économiques sur le devenir des raffineries portuaires françaises, Le PDG de Total a répondu que le groupe a cinq raffineries en France : en Normandie, une grande plate-forme, Donges sur la façade atlantique, qui exporte sur l’Afrique, où Total repart pour une quinzaine d’années, une autre dans le bassin parisien, plus petite, rentable (Grand puits), Marseille et Feyzin en région Rhône-Alpes, qui gagne de l’argent, mais que celle de la Mède n’était pas rentable et qu’il fallait reformuler son projet.

« Le panorama en France des raffineries est en bonne place, on a bâti le futur pour plusieurs années. A La Mède, on gardera le dépôt, on va compenser auprès du port de Marseille la différence », précise M. Pouyanné.

 En vrac, les autres questions

D’autres questions des sénateurs au PDG de Total portaient sur les conséquences de la numérisation sur les activités du groupe, sur la place de Total sur le marché américain du gaz de schiste, sur sa stratégie gazière, sur la biomasse, sur les capacités de raffinage du groupe, sur le rapport entre l’énergie et la compétitivité de la France, sur l’hydrogène et la recherche, sur le stockage du gaz en sous-sol, sur le dossier de reprise de SAFT, sur les investissements à venir du groupe, sur le permis de recherche gazier de Montélimar, sur les objectifs principaux de recherche du groupe, mais aussi sur son passé … en politique en tant que conseiller de Matignon à l’époque d’Edouard Balladur.

Le PDG de Total a d’abord répondu importance de la sécurité, des projets amonts, notamment gaziers dans le grand nord russe à Jamal (?), ou de recherche sismique, ou pour les big datas, puis concernant la fiscalité en France, a souligné que Total était la société française la plus taxée dans le monde, un contributeur à la hauteur d’un milliards d’euros dans l’hexagone.

« La question de l’accès à l’énergie est une vraie question, en Afrique comme ailleurs. L’Afrique est fondamentale pour nous. Nos concurrents anglo-saxons en ont un peu peur. C’est un facteur de différenciation. On cherche dans le solaire, dans les lampes solaires, avec Awango, presque à l’équilibre », ajoute le patron de Total.

Quant au salaire des grands patrons, Patrick Pouyanné est on ne peut plus clair : « quand une assemblée générale s’exprime, on doit la respecter. Il faut s’écouter les uns les autres, mais il ne faut pas faire une loi, sinon il y aura des sièges sociaux qui partiront à l’étranger ».

In fine, Patrick Pouyanné pense que le seul vrai souci à venir est celle du prix de l’énergie, davantage encore que le coût du travail et concernant le prix du CO2 qu’il a appelé à tarifer, au moins 30 dollars/tonne, comme l’ont fait les britanniques : « Il faut donner un prix à quelque chose que les gens considèrent comme quelque chose de dangereux. Il faut aller vers un régulateur d’un marché indépendant, sans aller vers 100 euros/tonne, juste assez pour faire un signal prix qui stimulera la recherche chez les industriels ».

 

Christophe Journet

  

Voir aussi via:

http://videos.senat.fr/video/videos/2016/video32908.html

http://videos.senat.fr/video/videos/2016/video32909.html

PUB_WEB_2016

Retour vers le haut

Mis à jour (Vendredi, 15 Juillet 2016 10:25)