PARIS (MPE-Média) - Le comité de prospective en énergie de l’Académie des Sciences a publié récemment un avis, recommandant de lancer la recherche sur les gaz de schiste. Détails.

L’Académie scientifique française s’appuie sur un argumentaire qui se veut dépassionné et neutre d’un point de vue politique, exclusivement fondé sur une analyse des besoins français et européens en matière de ressources énergétiques et sur l’idée de rechercher des moyens écologiquement neutres d’explorer le potentiel supposé connu des réserves en gaz non conventionnels de la France.

Titré « Éléments pour éclairer le débat sur les gaz de schiste », l’avis de la célèbre Académie des sciences compile ceux de plusieurs rapports internationaux, le contenu délivré lors de grandes conférences sur le sujet ainsi que des documents élaborés par l’Agence internationale de l’Energie (IEA) de Washington, l’Alliance Nationale de Coordination de la Recherche pour l’Energie (ANCRE) et sur le vote de ses membres à partir d’un avis émis par son propre Comité de prospective en plusieurs étapes durant l’année 2013.

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Régions européennes qui pourraient comporter des réserves de gaz de schiste et gaz de houille exploitables (Source : Agence internationale de l’énergie 2012)

 

Extrait du verbatim de cet avis :

« L’Académie des sciences est pleinement consciente de la nécessité de réduire la consommation d’énergie et notamment de combustibles fossiles et pour cela d’améliorer l’efficacité énergétique dans toutes les utilisations de l’énergie. Dans le contexte actuel de transition énergétique, la question des gaz de schiste mérite d’être examinée, notamment pour les raisons suivantes : (1) Assurer la sécurité d’approvisionnement en énergies fossiles qui constituent encore 90 % de l’énergie primaire, (2) Réduire la dépendance énergétique et la facture correspondante (plus de 60 milliards d’euros par an), (3) Stimuler la compétitivité de l’économie, (4) Permettre l’insertion des énergies renouvelables en réglant le problème de la compensation de leur intermittence au moyen d’une énergie mobilisable et qui évite l’utilisation du charbon. Cet avis expose ces éléments de contexte puis élabore des recommandations qui devraient permettre de réduire les incertitudes actuelles. Ces recommandations sont présentées sous forme synthétique, ci-dessous.

 

Synthèse des recommandations

Les quatre premières recommandations visent la recherche et l’exploration. Les cinq recommandations suivantes visent l’éventuelle exploitation qui pourrait être engagée si des conditions favorables, notamment pour réduire les risques pour l’environnement, sont réunies. »

Le texte de 23 pages rendu public en fin de semaine dernière tient compte à la fois des débats et des points de vue exprimés ces dernières années, estimant que ceux-ci ont été à l’origine de décision « prises hâtivement et sans que le dossier soit véritablement instruit », constat conduisant l’Académie des sciences à émettre les neuf propositions suivantes :

1. Lancer un effort de recherche, impliquant aussi bien les laboratoires universitaires que ceux des grands organismes, sur toutes les questions scientifiques posées par l’exploration et l’exploitation des gaz de schiste.

2. Préparer l’exploration en utilisant les connaissances géologiques, géophysiques et géochimiques déjà acquises ou archivées et solliciter les géologues pour travailler à une évaluation des réserves.

3. Réaliser des études et des expériences visant à évaluer et réduire l’impact environnemental d’une éventuelle exploitation.

4. Mettre en place une autorité scientifique, indépendante et pluridisciplinaire de suivi des actions engagées pour l’évaluation des ressources et des méthodes d’exploitation.

5. Traiter des problèmes de gestion des eaux, qui est un aspect majeur de l’exploitation des gaz de schiste.

6. Prévoir un suivi environnemental (monitoring) avant, pendant et après l’exploitation.

7. Travailler sur les méthodes qui pourraient remplacer la fracturation hydraulique mais aussi sur les procédés permettant d’améliorer celle-ci.

8. Traiter des problèmes d’étanchéité à long terme des forages d’exploitation en initiant un programme de recherche qui devrait conduire à l’élaboration d’une réglementation adaptée.

9. Procéder à des tests en vraie grandeur dans des conditions respectant la décision en vigueur, c’est-à-dire sans fracturation hydraulique, dans des zones déjà fracturées de vieux bassins charbonniers, pour mieux évaluer la ressource et maximiser le rendement de son exploitation.

Un effort de recherche soutenu

Les auteurs de cet avis académique et scientifique poursuivent en préconisant une série de neuf recommandations à respecter dans le cas où l’évaluation objective des ressources en gaz « de roche-mère » - plutôt que de gaz de schiste, précise cette organisation – et des méthodes d’exploitation aient été rendues possibles en France.

L’Académie des Sciences recommande ainsi le lancement d’un effort de recherche soutenu dans le domaine impliquant des acteurs universitaires et privés ; d’utiliser les connaissances géologiques, géophysiques et géochimiques déjà acquises pour approfondir le sujet, faisant notamment référence au CNRS, au BRGM, à l’IFPEN ; de bien prendre en compte les aspects liés à la gestion de l’eau tant en surface qu’au cours des éventuels forages expérimentaux ; l’avis précise que depuis l’introduction industrielle en 1947 de la fracturation hydraulique profonde, 2,5 millions d’opérations ont été réalisées dans le monde, ajoutant que « les premiers forages mis en oeuvre aux États-Unis (qui) n'ont pas toujours respecté des normes indispensables à une protection correcte de l'environnement, ont provoqué des pollutions significatives qui doivent être absolument évitées dans un pays aussi densément peuplé que la France. Les techniques actuelles et l'expérience pétrolière permettent – semble-t-il, mais cela doit être évalué – de définir des modalités de forage et d'exploitation respectueuses de l'environnement et sûres pour le long terme ».

« Les réserves sont considérables et bien réparties dans le monde : on estime qu'elles pourraient fournir 120 à 150 ans de la consommation actuelle de gaz naturel », ajoute l’Académie des Sciences en annexe, non sans relativiser ce constat et l’entourer d’éléments plus précis d’évaluation du thème : « En Europe, les réserves de gaz de schiste sont estimées entre 3.000 et 12.000 milliards de m3 (entre 75 et 300 ans de consommation annuelle pour la France). Les ressources seraient en France de 5.100 milliards de m3 », précisent les auteurs de l’avis en annexe.

Tirer les leçons d'autres expériences nationales

Enfin, l’Académie des Sciences préconise de tirer les leçons des explorations britanniques pour mieux analyser les risques pour l’environnement et pouvoir s’entourer de précautions supplémentaires découlant de ces constats.

Cet avis prolonge donc en allant dans le même sens ceux de la Fondation Concorde (2012), de la Commission des Affaires économiques du Sénat, d’un groupe d’enquête de l’Assemblée nationale (2013), d’un pannel européen et international audité par un cabinet parisien à la demande de la Commission européenne (2012-2013) et plus récemment celui d’un autre groupe de députés français, qui s’apprêtent à déposer leur rapport à l’Elysée, insistant selon nos sources sur la « nécessité de sortir du moratoire actuel pour entrer dans une phase exploratoire dès que possible ». Ces députés – parmi lesquels une majorité d’élus du Parti Socialiste – disent estimer que le danger d’une perte de compétitivité de nos industries électro ou gazo-intensives face à celles des Etats-Unis ou d’autres pays ne s’interdisant pas le recours aux gaz de roche-mère est plus important que le risque pour l’environnement très largement surrestimé au regard des progrès des technologies de forages ces dernières années.

 

Christophe Journet

Voir aussi sur :

http://www.academie-sciences.fr/activite/rapport/avis151113.pdf

TARIFS_2013

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