PARIS (MPE-Média) - « Donner des armes à l'acier français : accompagner la mutation d'une filière stratégique », tel est le titre du rapport d'information de Mme Valérie Létard, sénatrice des Hauts-de-France et rapporteure, fait au nom de la Mission d’Information sur les enjeux de la filière sidérurgique débattu ce 30 octobre au Sénat.

Le titre de cette Mission d'information du Sénat pourrait prêter à confusion sur les intentions des parlementaires : il ne s'agit pas de passer des commandes d'armes aux sidérurgistes de l'hexagone, mais de réfléchir aux mesures susceptibles de les soutenir durant les vaches maigres que nous traversons. Constituée en janvier 2019 à l'initiative du groupe Union centriste du Sénat, la mission d'information (MI) sur les enjeux de la filière sidérurgique dans la France du XXIe siècle a adopté son rapport le 9 juillet 2019, comme annoncé et relaté par nos soins l’été dernier. Cette commission est présidée par Franck Menonville, sénateur de la Meuse.

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(Source Sénat)

Près de cinquante-cinq personnes entendues lors des auditions menées au Sénat, dans le cadre de déplacements à Bruxelles et à la rencontre des entreprises sidérurgiques des territoires ont convaincu les membres de la mission d'information que « l'acier est la fondation stratégique de notre économie et que la consolidation de la filière française et la préservation des capacités sont essentielles », note la porte-parole du Sénat.

 

Quatre défis majeurs pour l'avenir de la sidérurgie ont été identifiés :

- Les surcapacités croissantes exacerbent la concurrence et les tensions commerciales ;

- Les producteurs d'acier doivent s'adapter aux exigences de la transition énergétique ;

- Les moyens nécessaires à l'adaptation de la filière sont difficiles à mobiliser ;

- Le déficit d'attractivité de la filière fait peser un risque sur le recrutement et le savoir-faire français.

 

Pour mettre en oeuvre une telle stratégie, les sénateurs de cette Mission jugent « indispensable de créer un ministère de l'Industrie, doté de véritables ressources humaines et budgétaires au service du tissu industriel français. »

 

Les 30 propositions de la mission d'information annoncées en juillet s'articulent autour de quatre enjeux principaux :

 

- Soutenir l'organisation de la filière et l'effort d'attractivité ;

- Donner à la sidérurgie de nouvelles armes dans la concurrence mondiale ;

- Faire de la filière sidérurgique un levier de décarbonation de l'économie ;

- Instaurer un accompagnement stratégique à tous les niveaux des politiques publiques.

 

Voici un bref extrait du rapport débattu fin octobre par les sénateurs, qui en dit long sur l’étendue du problème :

« D’une part, la diminution des volumes produits et de l’emploi se poursuit. En dix ans, la France a perdu 20 % de ses emplois sidérurgiques ; il en reste actuellement 38 000 environ. Nous sommes désormais le quinzième producteur mondial, alors que nous étions encore septième en 1960. Il reste 8 hauts fourneaux actifs en France, contre 152 en 1954.

D’autre part, le secteur sidérurgique français est de plus en plus concentré, et en quasi-totalité détenu par des groupes étrangers. Près de deux tiers de la production française sort des usines d’ArcelorMittal, qui fournit un tiers des emplois sidérurgiques. Cette concentration est le résultat de la pression concurrentielle des nouveaux producteurs chinois et indiens notamment, et des besoins colossaux d’investissement des entreprises sidérurgiques.

Enfin, l’approvisionnement en matières premières est loin d’être sécurisé : la France est structurellement dépendante de ses importations de charbon, de minerai de fer et de minerais rares.

Au-delà de cet état des lieux inquiétant, qui démontre que le caractère stratégique de la sidérurgie n’est pas assez pris en compte par les politiques publiques, nos travaux ont identifié quatre défis majeurs pour le futur de la sidérurgie française.

D’abord, la surcapacité de production d’acier persiste au niveau mondial, ce qui exacerbe la concurrence et les tensions commerciales, au détriment de l’industrie européenne.

 

La Chine produit désormais à elle seule plus de la moitié de l’acier mondial, contre seulement 15 % en l’an 2000. Sa domination se fonde sur une politique industrielle dirigiste, menée à coups de subventions massives par le biais d’énormes entreprises publiques, et par un recours quasi systématique au dumping des exportations chinoises. De plus, de nouveaux producteurs montent en puissance, comme l’Iran, l’Algérie ou le Vietnam : les surcapacités devraient continuer à augmenter dans les prochaines années. Pourtant, les usines mondiales ne tournent actuellement qu’à 75 % de leur capacité : le marché est inondé.

Dans ce contexte de concurrence exacerbée, de plus en plus de pays ont recours au protectionnisme commercial et à des pratiques déloyales : la Chine, l’Inde ou la Russie « dumpent » massivement leurs exportations, et les États-Unis ont fermé leur marché en instaurant des droits de douane additionnels, qui touchent aussi bien l’Europe que l’Asie. Les surcapacités et les tensions commerciales sont une menace existentielle pour la sidérurgie.

Ensuite, les producteurs français et européens font face à un environnement réglementaire très contraignant et au défi majeur de la transition énergétique.

Les objectifs climatiques et énergétiques sont déjà très ambitieux et se renforcent, avec la hausse du coût du carbone sur le marché européen des quotas et la pression pour trouver de nouveaux procédés moins émetteurs pour la sidérurgie, qui représente 8 % des rejets mondiaux en gaz à effet de serre. Les compétiteurs de pays tiers ne sont, eux, pas tenus aux mêmes exigences. Par ailleurs, les règles en matière d’aides d’État sont très encadrées au niveau européen, tandis que les pays émergents bénéficient de subventions publiques massives. De même, le droit de la concurrence ne permet pas aux groupes européens de jouer sur le même plan que les géants sidérurgiques chinois. Enfin, l’utilisation de mécanismes de défense commerciale est limitée par les règles de l’OMC et de l’Union européenne, alors même que le besoin de protection des producteurs européens est plus fort que jamais (...). »

 

Le kilo d’acier moins cher que le kilo de pommes de terre

« Les sommes nécessaires à la modernisation de notre outil productif, vieillissant, sont colossales, alors que le kilo d’acier se vend moins cher que le kilo de pommes de terre ! Nos auditionnés ont indiqué que la Chine avait banni les modèles de hauts fourneaux les plus répandus en Europe, car elle les juge obsolètes. D’autre part, l’investissement dans la recherche et développement (R&D) est très lourd et risqué. Il y a peu de visibilité sur l’évolution des coûts à moyen terme, en raison de la variation des prix des matières premières, de l’électricité et de l’évolution de la demande d’acier.

Alors que les entreprises sidérurgiques ont peu de réserves financières et que l’accès aux financements privés reste contraint, le maintien d’un niveau d’investissement suffisant pour poursuivre la modernisation et soutenir la compétitivité est un véritable défi.

Enfin, le désamour des Français pour les métiers industriels et le déficit d’attractivité de la filière pourrait placer la filière française en pénurie de compétences et de travailleurs.

De nombreux métiers de la filière sont aujourd’hui en tension. La médiatisation des plans sociaux à répétition contribue à façonner une représentation déclinante de la sidérurgie dans l’imaginaire des Français. Pourtant, cette industrie a considérablement évolué, tant s’agissant des conditions de travail, des procédés de production que des niveaux de rémunération. »

 

C.J.

 

Voir aussi sur http://www.senat.fr/rap/r18-649-2/r18-649-21.pdf

(Comptes-rendus des auditions menées durant cette Mission.)

 

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Mis à jour (Jeudi, 07 Novembre 2019 12:57)